Têtes de Turc. Souffre-douleurs. Leurs points communs ? Leurs différences ! Elles sont refusées par le groupe au nom d’un conformisme redoutable. Ces cas sont d’une banalité tellement quotidienne qu’on en oublierait le sort de ceux qui la vive. Tout le monde connaît ou a connu des personnes qui ont été le réceptacle de cette violence ; il est estimé que 5% des élèves la subissent quotidiennement.
Or, il faut prendre conscience que toutes les formes de violence morale commise au sein d’établissements scolaires doivent faire l’objet d’une prévention efficace et peuvent, à défaut, déclencher des procédures judiciaires s’il existe des preuves tangibles.
Les victimes et leurs parents doivent trouver la force de parler, d’avertir les responsables. S’ils choisissent la voie judiciaire, il faudra qu’ils s’arment de patience et de courage.
Mais il faut être convaincu qu’il existe des éléments de protection et des leviers d’action si la prévention n’a pas fonctionné.
Éléments de protection internationaux et européens.
Ratifié par la France en 1980 et entré en vigueur en 1981, le Pacte international sur les droits civils et politiques précise à son article 24 que tout enfant « a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa situation de mineur».
Les parents et les enfants victimes de violence morale dans un cadre scolaire pourraient se prévaloir d’être victimes de ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de Libertés Fondamentales qualifie de « traitements dégradants » en application de l’article 3 de la Convention européenne des sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La jurisprudence a précisé que le traitement dégradant est celui « qui humilie l’individu grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou sa conscience » ou qui abaisse l’individu « à ses propres yeux » (CEDH, Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, 1. 26 § 29 et 32). Comme le précise le Professeur Frédéric Sudre dans son ouvrage Droit européen et international des droits de l’homme (9ème édition, PUF), le champ d’application des concepts de « traitements inhumains et dégradants » a été étendu pour recouvrir des domaines de la vie sociale ou de certains actes d’origine privée. Cet article pourrait donc être invoqué à l’appui de certain recours.
Il est également intéressant de constater que le Comité européen des droits sociaux considère que l’article 17 de la Charte sociale européenne fait obligation aux États d’interdire par la loi toute forme de violence à l’égard des enfants et des adolescents, quels que soient le lieu et l’identité des auteurs (Recla. n°19/2003, Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) c. Italie ; Récla. n°20/2003, OMCT c.Portugal).
Leviers d’action en droit interne
En droit français, il n’existe pas d’infraction relative au harcèlement moral subi dans le cadre d’un établissement scolaire. Si le Code pénal prévoit pourtant la condamnation de faits de harcèlements moraux, ils ne le sont que dans deux hypothèses bien circonscrites : le harcèlement au travail (article 222-33-2 du Code pénal) et le harcèlement au sein du couple (article 222-33-2-1 du Code pénal).
Il est alors possible de penser par analogie au bizutage. Mis en place par la loi du 17 juin 1998, il est prévu aux articles 225-16-1 à 3 du Code pénal. Il s’agit de pratiques collectives comme par exemple des séances de déshabillage, de simulacres de rapports sexuels, des questions de mélanges d’alcools, des humiliations fondées sur l’apparence physique, des brimades excessives. La personne victime de telles pratiques accepte de les effectuer et de subir ces actes par crainte de représailles ou par peur d’être marginalisée ou de devoir être exclue du groupe. Le bizutage se déroule généralement en un trait de temps et concerne des adolescents ou de jeunes adultes.
Or, il se distingue du harcèlement moral même si le bizutage peut être l’amorce de ce qui sera ensuite des violences morales.
Les violences morales s’inscrivent dans la durée et se caractérisent par leur fréquence et leur intensité. Dans ce cas, la jurisprudence a considéré que l’article 222-33-2 du Code pénal pouvait être efficace. Le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique (Cass. Crim. 2 septembre 2005, Bull. crim. N°212 ; D.2005. Pan. 2989, obs. Garé ; Cass. Crim. 18 mars 2008 Bull. crim n°65 ; D.2008 AJ 1414).
Spécifiquement, l’arrêt rendu par le Tribunal des Enfants de Rouen le 12 février 2009 est décisif. Se fondant sur les dispositions de l’article 222-33-2 du Code pénal, les juges ont pu caractériser l’élément matériel des violences morales subies par un enfant décédé suite au harcèlement de ses camarades de classe. Les faits ont également permis de caractériser l’intention de nuire des harceleurs. Les sept mineurs ont été déclarés coupables des faits de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’ITT sur la victime, avec circonstance que ces faits ont été commis en réunion. Les parents des mineurs harceleurs ont été déclarés civilement responsables et condamnés, in solidum, avec leurs enfants et solidairement entre eux, à payer aux parents de la victime des sommes d’argent au titre du préjudice moral.
Parallèlement à l’action pénale, une action devant la juridiction administrative compétente avait été lancée et a abouti le 12 mai 2011 à l’engagement de la responsabilité de l’État. Il a été retenu que « l’absence de procédure de concertation pour prendre en considération la souffrance d’un élève (…) révèle une défaillance dans l’organisation du service ; qu’une telle carence dans l’appréhension du harcèlement moral au sein d’un établissement, et en particulier dont a été victime S., est de nature à engager la responsabilité de l’État, tant en raison du préjudice propre des membres de la famille du fait du décès, qu’en raison de celui subi par l’enfant durant sa scolarité » (TA Rouen, 12 mai 2011 n°0901466, AJDA 2011 p.2431).
Conscient d’un nécessaire changement des mentalités, le gouvernement a commencé à prendre la mesure du phénomène. Tout récemment, il a été prévu dans la loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République que : « La lutte contre toutes les formes de harcèlement sera une priorité pour chaque établissement d’enseignement scolaire. Elle fera l’objet d’un programme d’actions élaboré avec l’ensemble de la communauté éducative, adopté par le conseil d’école pour le premier degré et par le conseil d’administration dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Ce programme d’actions sera régulièrement évalué, pour être amendé si nécessaire ». Une campagne de sensibilisation va d’ailleurs être mise en place à la mi-novembre.
Retrouver également cet article sur : http://www.huffingtonpost.fr/solene-debarre/quels-sont-les-outils-jur_b_4002910.html