Engagement de la responsabilité de l’État pour faute lourde et déni de justice dans l’affaire de Jocelyn MAFFEIS

Plus de neuf ans après la mort suspecte de Jocelyn MAFFEIS à la Maison des Mines, résidence étudiante de l’École des Mines, le 24 septembre 2013, un classement sans suite, une ordonnance de non-lieu et sa confirmation, les juges du Tribunal Judiciaire de PARIS ont condamné l’État le 11 janvier 2023 pour faute lourde et déni de justice. Cette décision est aujourd’hui définitive.


C’est un parcours du combattant mené par les parents et la sœur de Jocelyn MAFFEIS, soutenus par leurs avocats, Solène DEBARRE et William BOURDON, qui a abouti à cette victoire importante.


Les juges ont considéré que « […] la mise sous scellé tardive du téléphone […] et de son sac à dos […] qui n’avaient pas été examinés lors de l’enquête de flagrance et avaient été remis [à son père] dès le 19 septembre 2013, a nécessairement retardé l’avancement de l’enquête, et limité les possibilités de recueillir des éléments utiles à celle-ci, et par là prolongé l’incertitude sur la réalité des faits / Ce dysfonctionnement, alors qu’il s’agissait de la mort suspecte d’un jeune homme de 19 ans, traduit l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi et caractérise une faute lourde, engageant la responsabilité de l’État ».


S’agissant du déni de justice, ils ont retenu que « […] le délai de 9 mois entre la demande d’expertise médico-légale des parties civiles du 14 octobre 2015 et l’ordonnance de commission d’expert du 15 juillet 2016 est excessif et engage la responsabilité de l’État à hauteur de 7 mois, dans la mesure où il n’était pas nécessaire d’attendre le retour de la commission rogatoire pour désigner un expert médico-légal, les deux actes pouvant se dérouler dans le même temps […] »


Ces carences de l’enquête et de l’instruction ont pour conséquence qu’il est aujourd’hui impossible, pour les proches de Jocelyn, de connaître les circonstances exactes de son décès, et notamment de confirmer ou d’exclure l’intervention d’un ou plusieurs tiers.
Pour autant, la famille de Jocelyn garde l’espoir qu’un jour, des cœurs peut-être lourds d’un trop gros secret décident de témoigner et de leur apporter, enfin, la vérité.

Ci-dessous, le communiqué de presse rédigé par le Cabinet BOURDON & ASSOCIES et le Cabinet DEBARRE.

Esquisse à l’occasion d’un parloir à la maison d’arrêt des hommes au centre pénitentiaire de Fresnes

Fondé en 1898, le centre pénitentiaire de Fresnes est l’un des plus vieux de France et l’un des plus insalubre. Trois blocs, les « Bâtiments », sont disposés en parallèle, reliés en eux par un corridor central, en plancher flottant et glissant.

Les parloirs avocats sont aux cœurs des « Bâtiments » au rez-de chaussé et ne sont pas beaucoup plus grands que des placards. Ils sont tout juste assez grands pour y mettre une petite table et deux chaises.

À l’occasion de ma dernière visite et en attendant mon Client, j’ai réalisé une esquisse rapide de l’intérieur de la « taule » avec ses emblématiques sacs attachés par des cordes qui montent dans les étages par un système de poulie et ses filets qui voilent le plafond pour empêcher les chutes d’objets.

À lire pour un approfondissement des conditions carcérales à Fresnes, les recommandations en urgence relatives à la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) : https://www.cglpl.fr/2016/recommandations-en-urgence-relatives-a-la-maison-darret-des-hommes-du-centre-penitentiaire-de-fresnes-val-de-marne/

et le rapport de la deuxième visite du centre national d’évaluation (CNE) du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) : https://www.cglpl.fr/2022/rapport-de-la-deuxieme-visite-du-centre-national-devaluation-cne-du-centre-penitentiaire-de-fresnes-val-de-marne/

Code de déontologie 2023 : résultats du concours d’illustration

Je suis ravie d’avoir été sélectionnée parmi les 3 finalistes du concours d’illustration du code de déontologie 2023 et d’être en 2ème place.

Ma proposition était un calligramme représentant un avocat et composé des cinq mots du serment : « Je jure comme Avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité« .

Merci !

https://www.avocatparis.org/actualites/code-de-deontologie-2023-resultats-du-concours-dillustration

Le pourvoi en cassation contre l’ordonnance du Président de la Chambre de l’Instruction statuant sur une requête portant sur les conditions de détention (article 803-8 du code de procédure pénale) est recevable

Les nouvelles dispositions de l’article 803-8 du code de procédure pénale permettent de faire constater par le juge des libertés et de la détention territorialement compétent les conditions indignes de détention d’une personne détenue.

En l’espèce, la personne détenue provisoirement l’était pour des faits de terrorisme justifiant, pour l’administration pénitentiaire des fouilles intégrales corporelles sans limites de temps, à chaque parloir et toutes les semaines, l’apposition de cartons de couleur jaune ou rouge sur sa cellule, une interdiction de travail discriminatoire, alors que cette personne avait été évaluée par le QER (quartier d’éradication de la radicalité) comme n’étant pas radicalisé.

En raison d’un transfèrement de la Maison d’Arrêt de FLEURY-MÉROGIS à celle de LA SANTÉ, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 14 juin 2022 (pourvoi n°22-80023, publié au Bulletin) a conclu à un non-lieu à statuer.

Faut-il en conclure en creux que la translation judiciaire a mis fin mécaniquement aux conditions indignes de détention qui finalement existaient ?

En tout état de cause, cet arrêt vient combler un défaut de texte législatif et confirme qu’en cas de désaccord avec l’ordonnance rendue par le Président de la chambre de l’instruction, l’exercice d’un pourvoi en cassation est tout à fait possible car entre dans les prévisions de l’article 567 du code de procédure pénale.

Ce pourvoi a été soutenu par la SCP ZRIBI et TEXIER qui collabore régulièrement avec le Cabinet.

En tout état de cause, Solène DEBARRE continue d’introduire ces recours pour l’ensemble de ses clients qui font l’objet de conditions indignes de détention, et ils sont trop nombreux.

Le bizutage, un délit peu condamné

En ce début d’année, les mêmes rituels immuables se répètent.

Si la plupart des rites d’intégration se font dans la bonne humeur et avec un esprit enfantin, d’autres prennent des tournures dramatiques.

Délit punissable, le bizutage est condamnable au titre des dispositions de l’article 225-16-1 du code pénal.

Pour avertir tant les victimes que les prévenus des conséquences du bizutage, j’ai accepté de donner un bref point de vue juridique dans les colonnes du journal Le Monde.

Vous pouvez accéder à l’article en cliquant sur le lien suivant :

Article de Séverin Graveleau dans le journal Le Monde

Quels sont les outils juridiques pour lutter contre le harcèlement scolaire ?

Têtes de Turc. Souffre-douleurs. Leurs points communs ? Leurs différences ! Elles sont refusées par le groupe au nom d’un conformisme redoutable. Ces cas sont d’une banalité tellement quotidienne qu’on en oublierait le sort de ceux qui la vive. Tout le monde connaît ou a connu des personnes qui ont été le réceptacle de cette violence ; il est estimé que 5% des élèves la subissent quotidiennement.

Or, il faut prendre conscience que toutes les formes de violence morale commise au sein d’établissements scolaires doivent faire l’objet d’une prévention efficace et peuvent, à défaut, déclencher des procédures judiciaires s’il existe des preuves tangibles.

Les victimes et leurs parents doivent trouver la force de parler, d’avertir les responsables. S’ils choisissent la voie judiciaire, il faudra qu’ils s’arment de patience et de courage.

Mais il faut être convaincu qu’il existe des éléments de protection et des leviers d’action si la prévention n’a pas fonctionné.

 

Éléments de protection internationaux et européens.

Ratifié par la France en 1980 et entré en vigueur en 1981, le Pacte international sur les droits civils et politiques précise à son article 24 que tout enfant « a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’État, aux mesures de protection qu’exige sa situation de mineur».

Les parents et les enfants victimes de violence morale dans un cadre scolaire pourraient se prévaloir d’être victimes de ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de Libertés Fondamentales qualifie de « traitements dégradants » en application de l’article 3 de la Convention européenne des sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La jurisprudence a précisé que le traitement dégradant est celui « qui humilie l’individu grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou sa conscience » ou qui abaisse l’individu « à ses propres yeux » (CEDH, Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, 1. 26 § 29 et 32). Comme le précise le Professeur Frédéric Sudre dans son ouvrage Droit européen et international des droits de l’homme (9ème édition, PUF), le champ d’application des concepts de « traitements inhumains et dégradants » a été étendu pour recouvrir des domaines de la vie sociale ou de certains actes d’origine privée. Cet article pourrait donc être invoqué à l’appui de certain recours.

Il est également intéressant de constater que le Comité européen des droits sociaux considère que l’article 17 de la Charte sociale européenne fait obligation aux États d’interdire par la loi toute forme de violence à l’égard des enfants et des adolescents, quels que soient le lieu et l’identité des auteurs (Recla. n°19/2003, Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) c. Italie ; Récla. n°20/2003, OMCT c.Portugal).

 

Leviers d’action en droit interne

En droit français, il n’existe pas d’infraction relative au harcèlement moral subi dans le cadre d’un établissement scolaire. Si le Code pénal prévoit pourtant la condamnation de faits de harcèlements moraux, ils ne le sont que dans deux hypothèses bien circonscrites : le harcèlement au travail (article 222-33-2 du Code pénal) et le harcèlement au sein du couple (article 222-33-2-1 du Code pénal).

Il est alors possible de penser par analogie au bizutage. Mis en place par la loi du 17 juin 1998, il est prévu aux articles 225-16-1 à 3 du Code pénal. Il s’agit de pratiques collectives comme par exemple des séances de déshabillage, de simulacres de rapports sexuels, des questions de mélanges d’alcools, des humiliations fondées sur l’apparence physique, des brimades excessives. La personne victime de telles pratiques accepte de les effectuer et de subir ces actes par crainte de représailles ou par peur d’être marginalisée ou de devoir être exclue du groupe. Le bizutage se déroule généralement en un trait de temps et concerne des adolescents ou de jeunes adultes.

Or, il se distingue du harcèlement moral même si le bizutage peut être l’amorce de ce qui sera ensuite des violences morales.

Les violences morales s’inscrivent dans la durée et se caractérisent par leur fréquence et leur intensité. Dans ce cas, la jurisprudence a considéré que l’article 222-33-2 du Code pénal pouvait être efficace. Le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique (Cass. Crim. 2 septembre 2005, Bull. crim. N°212 ; D.2005. Pan. 2989, obs. Garé ; Cass. Crim. 18 mars 2008 Bull. crim n°65 ; D.2008 AJ 1414).

Spécifiquement, l’arrêt rendu par le Tribunal des Enfants de Rouen le 12 février 2009 est décisif. Se fondant sur les dispositions de l’article 222-33-2 du Code pénal, les juges ont pu caractériser l’élément matériel des violences morales subies par un enfant décédé suite au harcèlement de ses camarades de classe. Les faits ont également permis de caractériser l’intention de nuire des harceleurs. Les sept mineurs ont été déclarés coupables des faits de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’ITT sur la victime, avec circonstance que ces faits ont été commis en réunion. Les parents des mineurs harceleurs ont été déclarés civilement responsables et condamnés, in solidum, avec leurs enfants et solidairement entre eux, à payer aux parents de la victime des sommes d’argent au titre du préjudice moral.

Parallèlement à l’action pénale, une action devant la juridiction administrative compétente avait été lancée et a abouti le 12 mai 2011 à l’engagement de la responsabilité de l’État. Il a été retenu que « l’absence de procédure de concertation pour prendre en considération la souffrance d’un élève (…) révèle une défaillance dans l’organisation du service ; qu’une telle carence dans l’appréhension du harcèlement moral au sein d’un établissement, et en particulier dont a été victime S., est de nature à engager la responsabilité de l’État, tant en raison du préjudice propre des membres de la famille du fait du décès, qu’en raison de celui subi par l’enfant durant sa scolarité » (TA Rouen, 12 mai 2011 n°0901466, AJDA 2011 p.2431).

Conscient d’un nécessaire changement des mentalités, le gouvernement a commencé à prendre la mesure du phénomène. Tout récemment, il a été prévu dans la loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République que : « La lutte contre toutes les formes de harcèlement sera une priorité pour chaque établissement d’enseignement scolaire. Elle fera l’objet d’un programme d’actions élaboré avec l’ensemble de la communauté éducative, adopté par le conseil d’école pour le premier degré et par le conseil d’administration dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Ce programme d’actions sera régulièrement évalué, pour être amendé si nécessaire ». Une campagne de sensibilisation va d’ailleurs être mise en place à la mi-novembre. 

 

Retrouver également cet article sur : http://www.huffingtonpost.fr/solene-debarre/quels-sont-les-outils-jur_b_4002910.html